L’alimentation en pleine conscience (mindful eating en anglais), ou le fait de cultiver une présence attentive à notre expérience de manger, est une approche qui gagne en popularité. On nous propose d’utiliser la méditation en pleine conscience pour transformer notre relation à la nourriture et à notre corps. Voyons ce que la science nous apprend sur les bienfaits de cette approche et comment des programmes tels que le MB-EAT (Mindfulness-Based Eating Awareness Training) peuvent nous aider à l’intégrer dans notre vie.

La pleine conscience
Le concept de pleine conscience dans sa forme laïque prend racine dans les travaux du Dr. Jon Kabat-Zinn sur la méditation en pleine conscience. Fondateur du programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) en 1979, au Center for Mindfulness de la faculté de médecine de l’université du Massachusetts, il défini la pleine conscience comme suit :
La pleine conscience c’est la conscience du moment présent, moment après moment, sans jugement, en y portant une attention délibérée et une attitude de curiosité.
Les concepts clés de l’alimentation consciente
Commençons par définir l’alimentation en pleine conscience. Un premier aspect central est de ralentir et de se connecter à soi pendant que l’on mange, plutôt que de manger de façon automatique ou précipitée. Un autre principe clé est le non-jugement. Au lieu de classifier les aliments en bons ou mauvais et de culpabiliser lorsqu’on mange certaines choses, on apprend à faire des choix alimentaires de façon plus neutre et curieuse. L’alimentation en pleine conscience intègre également la notion de compassion envers soi. On développe ainsi plus de bienveillance envers soi et les autres et on se libère du poids des régimes restrictifs. Concrètement, dans le quotidien, manger en pleine conscience nous permet de travailler notre relation avec la nourriture de différentes façons :
Comprendre les raisons qui nous amènent à manger
Intégrer une présence attentive à notre assiette, à l’acte de manger nous apprend à faire la distinction entre la faim physiologique et les autres déclencheurs alimentaires, comme les envies de manger liées au stress, à l’ennui, à nos émotions ou à d’autres facteurs externes. Bien entendu, l’idée n’est pas de contrôler nos envies de manger devant ces autres déclencheurs, mais de les comprendre et de faire le choix conscient de manger (ou pas). On brise le mode automatique, sans se juger, sans se priver, pour retrouver le plaisir et je dirais surtout la liberté de manger.
Manger avec ses sens
Manger en pleine conscience, c’est engager tous nos sens dans l’expérience de manger. On porte attention aux saveurs, textures, odeurs, bref on déguste vraiment nos aliments! C’est ce qu’on appelle développer son gourmet intérieur, parce que oui, on mange aussi pour combler un besoin psychologique relié à l’alimentation. On apprend que plus on est satisfait de son alimentation, moins on ressent le besoin de manger au delà de nos besoins.
Reconnaître les signaux qui nous amènent à cesser de manger
Un autre principe clé est de reconnaître quand on a assez mangé. Satisfaction, plénitude, satiété corporelle sont des indices que notre corps nous envoie et qui nous permettent de manger juste assez. Cela demande de se libérer de l’obsession de finir son assiette, mais aussi des croyances issues de la cultures des diètes qui génèrent une peur du manque, qui entretiennent l’idée qu’on doit en profiter en se disant que demain, on fera plus attention.
Se nourrir à la fois pour le plaisir et la santé
Choisir de manger en pleine conscience signifie aussi se nourrir à la fois pour le plaisir et la santé. On tourne le dos justement aux régimes, à la mentalité restrictive, bonjour la curiosité bienveillante pour mieux comprendre et reconnaître ses besoins! On découvre aussi que parfois, manger moins, en faisant des choix qui s’aligne avec nos envies et nos besoins, est plus satisfaisant.
Méditer pour manger consciemment
Enfin, la pratique de la méditation est centrale pour cultiver la présence attentive au quotidien et à notre assiette. On vit tous des moments de pleine conscience au quotidien, mais la pratique plus formelle de la méditation permet d’aller beaucoup plus loin. C’est un outil d’un grand potentiel qui nous permet de travailler notre flexibilité d’attention et de développer des stratégies pour mieux réguler notre alimentation.
Le programme MB-EAT (Mindfulness-Based Eating Awareness Training)
Comme le MBSR, le programme MB-EAT est un des programmes phares sur la pleine conscience appliqué à l’alimentation. Il a été mis sur pieds par la psychologue Américaine Dr. Jean Kristeller qui a publié de nombreux écrits sur le sujet.
Les participants sont initié à la méditation et vivent différentes dégustation en pleine conscience pour apprendre à savourer chaque bouchée en portant attention à tous leurs sens. Tout au long du programme, ils explorent leur rapport à la nourriture et découvrent comment reconnaître leurs besoins comme la faim et la satiété et les différencier des autres déclencheurs. Ils apprennent à faire des choix alimentaires en fonction de cette sagesse intérieure plutôt que d’un contrôle externe. Une partie du programme est également consacré à de la psychoéducation sur la régulation des émotions.
Ce que la science en dit
Plusieurs équipes de recherche se sont intéressées à comment la pleine conscience peut aider sur le plan du poids, de l’alimentation émotionnelle, des troubles alimentaires et même de certaines problématiques de santé comme le diabète de type 2. Elles montrent notamment que manger en pleine conscience permet :
- Une réduction significative des épisodes de compulsions alimentaires;
- Une diminution du stress, de l’anxiété et des symptômes dépressifs;
- Une amélioration de l’image corporelle et de l’estime de soi;
- Un rapport plus flexible et apaisé avec la nourriture;
- Des choix alimentaires plus sains et satisfaisants;
- Un meilleur maintien des changements à long terme.
En ce qui concerne le poids, les résultats sont plus mitigés. Des études menées auprès de personnes obèses avec des compulsions alimentaires ont observée une perte de poids significatives alors que d’autres études ont observé une absence de prise de poids.
Une étude a évalué les effets d’un programme de 10 séances de MB-EAT sur des personnes en obésité sévère, dont 25% souffraient aussi d’hyperphagie boulimique (Kristeller, 2010). Les participants ont perdu en moyenne 7 livres (3,2 kg) à la fin de l’intervention, et ceux qui avaient des compulsions alimentaires ont connu une amélioration comparable à ceux sans trouble alimentaire.
Un essai clinique randomisé auprès de 140 participants obèses et souffrant de compulsion alimentaire a comparé le programme MB-EAT à un programme psycho-éducatif classique (Kristeller, Wolever, 2014). Résultat : le groupe MB-EAT a obtenu une réduction plus importante des crises de boulimie et une meilleure maîtrise de son alimentation. Ce qui est le plus intéressant, c’est que les progrès étaient directement proportionnels au temps passé à pratiquer les exercices de pleine conscience. Une forme à distance du MB-EAT, a aussi prouvé son efficacité (Kristeller, Wolever, 2011).
D’autres travaux ont démontré les bienfaits de manger en pleine conscience pour les personnes souffrant de diabète de type 2, montrant une amélioration du contrôle glycémique, une réduction du stress et une amélioration des habitudes alimentaires (Miller, Kristeller, 2012). Les résultats sont encourageants à la fois pour la santé physique et le bien-être psychologique.
Manger en pleine conscience n’est pas qu’un effet de mode. C’est une approche validée scientifiquement pour transformer positivement notre relation à la nourriture, à notre corps et à nous-mêmes. En cultivant la présence attentive lorsque nous mangeons, en affinant notre écoute de nos vrais besoins, nous pouvons atteindre un équilibre plus épanouissant.
Quelques articles de recherche de Dr. Jean Kristeller sur le programme MB-EAT
Kristeller, J. L., & Wolever, R. Q. (2011). Mindfulness-based eating awareness training for treating binge eating disorder: the conceptual foundation. Eating disorders, 19(1), 49-61.
Kristeller, J. L., & Hallett, C. B. (1999). An exploratory study of a meditation-based intervention for binge eating disorder. Journal of Health Psychology, 4(3), 357-363.
Miller, C. K., Kristeller, J. L., Headings, A., Nagaraja, H., & Miser, W. F. (2012). Comparative effectiveness of a mindful eating intervention to a diabetes self-management intervention among adults with type 2 diabetes: A pilot study. Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, 112(11), 1835-1842.
Kristeller, J., Wolever, R. Q., & Sheets, V. (2012). Mindfulness-based eating awareness training (MB-EAT) for binge eating: A randomized clinical trial. Mindfulness, 3(4), 261-272.
Miller, C. K., Kristeller, J. L., Headings, A., & Nagaraja, H. (2014). Comparison of a mindful eating intervention to a diabetes self-management intervention among adults with type 2 diabetes: A randomized controlled trial. Health Education & Behavior, 41(2), 145-154.
Kristeller, J. L., & Wolever, R. Q. (2014). Mindful eating and mindless eating. In A. Ie, C. T. Ngnoumen, & E. J. Langer (Eds.), The Wiley Blackwell Handbook of Mindfulness (pp. 913-933). Wiley-Blackwell.
Autres références
Clifford, D., Ozier, A., Bundros, J., Moore, J., Kreiser, A., & Morris, M. N. (2015). Impact of non-diet approaches on attitudes, behaviors, and health outcomes: a systematic review. Journal of nutrition education and behavior, 47(2), 143–55.e1. https://doi.org/10.1016/j.jneb.2014.12.002
Katterman, S. N., Kleinman, B. M., Hood, M. M., Nackers, L. M., & Corsica, J. A. (2014). Mindfulness meditation as an intervention for binge eating, emotional eating, and weight loss: a systematic review. Eating behaviors, 15(2), 197–204. https://doi.org/10.1016/j.eatbeh.2014.01.005
Warren, J. M., Smith, N., & Ashwell, M. (2017). A structured literature review on the role of mindfulness, mindful eating and intuitive eating in changing eating behaviours: effectiveness and associated potential mechanisms. Nutrition research reviews, 30(2), 272–283.