C’est le soir, je me retrouve seule avec mon frigo, mon garde-manger. Je sais que je ne devrais pas, je sors le pot de crème glacée, j’en prends une cuillère et je range le pot rapidement, en espérant que personne ne me voit. Puis j’y retourne, juste une autre. Et encore. Jusqu’à dépasser la quantité que je considère raisonnable ou encore, je finis le pot pour pouvoir le jeter au plus vite, le faire disparaître pour ne pas laisser de trace de ma dérape. J’ai honte et je me promets que demain, je repars à neuf, dans l’espoir de mieux contrôler mes envies de manger…
Le fait de manger lorsque personne ne regarde ou manger en cachette peut parfois paraître anodin. Souvent, ce n’est même pas quelque chose qu’on fait consciemment. Lorsque ce comportement devient fréquent, qu’il est teinté de honte, il mérite qu’on s’y attarde un peu plus. Pour cet article, je me suis intéressée à pourquoi ressentons-nous parfois le besoin de satisfaire nos envies de manger dans la solitude. Je vous partage quelques stratégies pour surmonter ce comportement et vous permettre de retrouver une relation plus douce avec la nourriture.

Comprendre les racines de ce comportement
Devant n’importe quel comportement, c’est important de prendre le temps de comprendre les mécanismes et les schémas alimentaires sous-jacents plutôt que de seulement mieux le contrôler. Augmenter l’effort de contrôle peut à l’inverse augmenter la restriction ainsi que le risque de perte de contrôle. Pourquoi en profitons-nous pour manger le soir lorsque personne ne regarde? Bien que ce comportement ne soit généralement pas lié à la faim physique, il peut y avoir un réel besoin de manger. Ce qui est certain, c’est que c’est souvent des aliments qu’on a tendance à catégoriser comme mauvais qui se retrouve dans ces épisodes de manger. Que ce soit pour répondre à une faim émotionnelle, un moyen de se rebeller contre sa police alimentaire ou simplement parce qu’on a l’opportunité de manger sans avoir peur d’être jugée.
Quelle que soit la raison qui nous amène à saisir cette opportunité de manger, la culpabilité est souvent de dénominateur commun. Et s’il y a de la culpabilité, c’est qu’il y a de la restriction, un sentiment qu’on fait quelque chose de mal. Lorsque nous mangeons des aliments que nous jugeons mauvais, la culpabilité nous pousse à cacher notre comportement, par peur du jugement des autres ou par déception envers nous-mêmes.
La honte, étroitement liée à la culpabilité, amplifie ce besoin de dissimulation. Elle nous fait croire que nos actions sont non seulement indésirables, mais également révélatrices de notre échec personnel. Cela peut être particulièrement vrai dans les cas où les standards de beauté et de santé sont extrêmement élevés et peu réalistes, comme c’est souvent le cas dans notre société actuelle.
Lorsque la solitude devient une opportunité
Lorsqu’on mange en cachette, c’est comme si chaque fois, nous devions en profiter pour manger parce que nous ne savons pas quand ça va se reproduire. Quand nous allons avoir la possibilité de manger cet aliment que nous ne nous permettons pas habituellement, cet aliment que nous avons trop honte de manger devant les autres, de peur d’être jugés.
Lorsqu’on se retrouve seul, chaque instant peut sembler être une chance précieuse de consommer ces aliments « interdits » sans témoins pour nous juger. Mais cette perception n’est qu’une illusion, une fausse liberté où, en réalité, nous nous jugeons nous-mêmes plus durement que quiconque ne le ferait.
Le fait de manger n’est plus lié à la faim ni à nos envies, mais à l’opportunité qu’on saisit indépendamment de nos besoins. On mange parce qu’on peut, parce que c’est peut-être notre seule chance avant un certain temps. Cela peut conduire à choisir des aliments que l’on considère comme réconfortants ou gratifiants, souvent riches en sucres et en gras, ce qui peut exacerber un sentiment de culpabilité post-consommation.
Le besoin psychologique de manger
Et si je vous disais qu’on ne mange pas seulement pour répondre à un besoin physique ? Qu’il peut être sain de répondre à un besoin psychologique relié à la nourriture ? On est libre de manger des choses qu’on aime, faim ou pas faim. Car nos signaux de faim et de rassasiement ne devraient jamais devenir des règles alimentaires rigides.
Il est tout à fait sain de répondre à nos besoins psychologiques par la nourriture, à condition que cela soit fait dans la pleine conscience. Manger un aliment que l’on aime vraiment, savourer chaque bouchée, c’est répondre de manière authentique à un besoin de réconfort ou de plaisir. Cette démarche nourrit non seulement le corps, mais aussi l’esprit, renforçant notre bien-être émotionnel.
Le problème survient quand on se cache pour manger. Dans ce cas, on ne mange pas pour combler un besoin psychologique, mais parce qu’on a une opportunité. Ce comportement est souvent dépourvu de pleine conscience ou de réelle satisfaction, et le besoin psychologique n’est pas comblé, car il y a trop de culpabilité.
Quatre stratégies pour cesser de manger en cachette
1. Déconstruire ses croyances alimentaires
Travailler sur les croyances autour de certains aliments est essentiel. Pour rompre le cycle, il faut revoir les pensées négatives et la catégorisation des aliments comme « mauvais ». Je dis souvent qu’il n’y a pas de bons ni de mauvais aliments et qu’ils ont tous une place dans notre alimentation (sauf si ce sont des aliments qu’on n’aime pas, par préférence de goût ou sensorielles).
Apprendre à écouter notre corps pour redonner aux aliments la place qui leur revient peut nous permettre de briser ce cycle. L’alimentation intuitive ou en pleine conscience sont des approches qui peuvent nous permettre de mieux comprendre et répondre aux signaux que notre corps nous envoie plutôt que de contrôler notre alimentation en fonction de règles et de croyances externes.
2. Manger en présence d’autres personnes
Souvent, je recommande à mes clients de s’exposer à manger des aliments qu’ils mangent normalement en cachette, en présence d’autres gens. Ça peut être devant leurs conjoints, leurs enfants, ou même leurs collègues au bureau. Cette pratique aide à normaliser leur relation avec ces aliments et à réduire le sentiment de honte ou de culpabilité. Partager ces moments peut transformer l’expérience alimentaire en une occasion de connexion et de soutien social.
3. Normaliser les aliments à d’autres moments dans la journée
Normaliser la consommation d’aliments « plaisir » à différents moments de la journée peut réduire nos envies de manger quand personne ne regarde. Si on se permet de manger des amandes au chocolat avec notre dîner ou en collation l’après-midi, qu’on soit seul ou non, en se permettant d’en manger à d’autres moments, on réduit l’opportunité d’en manger compulsivement le soir.
Cette approche peut transformer la perception des aliments et promouvoir une relation plus sereine et moins restrictive avec la nourriture. Qui dit permission, dit aussi qu’on n’aura plus besoin d’en manger comme si c’était la dernière fois.
4. Pratiquer l’alimentation consciente
Encourager la pleine conscience lors des repas aide à renforcer la connexion entre le corps et l’esprit, permettant de mieux écouter nos véritables signaux de faim et de satiété. Cela peut se faire par des exercices de pleine conscience avant de manger, en se concentrant sur les sensations liées à l’alimentation : observer les couleurs, sentir les arômes, goûter chaque bouchée et ressentir les textures. Cette approche aide à apprécier la nourriture plus intensément et peut diminuer le besoin de manger en excès ou en cachette.
Avoir recours à un soutien professionnel au besoin
Il est aussi crucial de reconnaître et d’adresser les émotions qui nous poussent à manger en cachette et celles que ça génère. Ce phénomène peut avoir des racines profondes, qui prennent parfois naissance dès l’enfance. Un soutien psychologique peut être bénéfique pour ceux qui trouvent ce comportement particulièrement ancré. Parler au bon professionnel, que ce soit une nutritionniste, un psychologue, ou un autre professionnel qualifié peut aider à réduire la stigmatisation autour de ce sujet et à trouver des solutions adaptées.
Je vais terminer en disant que lorsque le jugement fait place à l’acceptation, le comportement de manger en cachette n’a plus sa place. Il est probable que notre alimentation serait moins compulsive, plus réfléchie et équilibrée. On mangerait ce dont on a vraiment envie, en fonction de nos besoins, sans la charge de honte ou de culpabilité. Pour briser le cycle du manger en cachette, il faut revoir complètement son rapport à ce que l’on mange et accepter ses envies, ses préférences alimentaires sans jugement. Diminuer la peur du jugement des autres passe par cesser de se juger soi-même et réduire la grossophobie internalisée. Et s’il y a malheureusement des jugements réels autour de vous, petit à petit, il est essentiel de se bâtir une carapace solide et s’assumer dans ses choix, car vous êtes la personne la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour vous. Manger en cachette peut être un indicateur de notre relation avec la nourriture et avec nous-mêmes. En abordant ce sujet avec compassion et curiosité, nous pouvons mieux comprendre les raisons qui se cachent derrière ce comportement et trouver la voie vers plus de sérénité.
Quelques références consultées
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Références concernant les comportements chez les jeunes
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