La croyance selon laquelle manger le soir fait prendre du poids est profondément ancrée dans notre culture où la quête de la minceur prend encore trop de place (lire ici la culture des diète). Elle trouve son origine dans plusieurs régimes populaires qui préconisent de ne pas manger après une certaine heure. Cette croyance est probablement l’une de celle que j’aborde le plus souvent en consultation, ça et les nombreuses croyances qui entourent encore les glucides et la prise de poids. Dans cet article, nous allons explorer toutes les facettes entourant le comportement de manger en soirée pour vous permettre de manger librement, et ce, à tout moment de la journée.
Ce que la science en dit
L’idée qu’on devrait cesser de manger après une certaine heure s’appuie sur plusieurs hypothèses. On suppose que le métabolisme ralentit la nuit et que notre moindre activité après le souper ferait en sorte qu’on ne brûle pas les calories consommées. Cependant, ces suppositions ne sont pas appuyées par des données probantes de qualité et la réalité est bien plus complexe et nuancée que ça.
Certaines études ont effectivement établi des corrélations entre la consommation tardive d’aliments et un poids plus élevé. Toutefois, faut garder en tête qu’une corrélation n’implique pas nécessairement une causalité. En science, ce niveau d’évidence est considéré comme relativement faible et ne permet pas d’en tirer des recommandations. Ces corrélations observées pourraient d’ailleurs s’expliquer par divers facteurs qui ne sont pas directement liés au fait de manger le soir en soi. Il semblerait que ce soit davantage les choix alimentaires et les quantités consommées dans ce contexte particulier qui jouent un rôle. En effet, les personnes qui mangent en soirée ont souvent tendance à opter pour des aliments de moins bonne valeur nutritive et à consommer plus de calories au total. Si certaines études observent une corrélation, d’autres n’en trouvent aucune. Certaines études observent même que la prise d’une collation en soirée améliore le contrôle de la glycémie chez les patients diabétiques. La qualité et la méthodologie des études varient considérablement, ce qui peut expliquer l’incohérence des résultats. Puis, peu de recherches se sont penchées sur ce comportement alimentaire en relation avec la présence réelle de faim, bref, le consensus scientifique est loin d’être établi.
Si manger tard le soir n’entraîne pas nécessairement une prise de poids, cela ne veut pas dire de me pas s’attarder à ce comportement. Les véritables enjeux de cette question résident dans la compréhension des facteurs physiologiques et comportementaux qui conduise à nos envies de grignotage en soirée. Ce qui compte réellement, ce n’est pas tant l’heure du repas, mais plutôt la qualité et la quantité des aliments consommés en fonction des besoins spécifiques de chacun. En ce sens, l’approche la plus équilibrée consiste à développer une écoute attentive de son corps, à comprendre ses envies et ses signaux corporels de faim et de satiété.
Comprendre pourquoi on mange le soir
Plutôt que de culpabiliser sur nos envies de manger le soir, il est essentiel de comprendre les raisons qui nous poussent à le faire. En effet, manger le soir n’aura pas le même impact sur le risque de prise de poids selon le besoin qui se cache derrière ce comportement, les choix qui vont en découler et surtout, la façon qu’on mange dans ce contexte.
- La faim physiologique : lorsque notre dernier repas remonte à plusieurs heures, il est tout à fait normal d’avoir faim en soirée. Quand on y pense, dans la journée, on peut facilement manger aux 2 à 4 heures. Lorsqu’on soupe par exemple à 17h30, il est donc tout à fait normal de ressentir la faim selon l’heure à laquelle on se couche.
- Le stress et les émotions : notre alimentation et nos émotions sont étroitement reliées. Il n’est pas rare que manger le soir soit associé à une recherche de réconfort. C’est le sujet d’un autre article que j’ai écrit pour le blogue : je mange mes émotions, quoi faire?
- Les habitudes et le conditionnement : Regarder la télévision est souvent une habitude associée à une envie de grignoter. Cela est associé à moins de satisfaction, car manger en présence de distraction nuit à l’appréciation que l’ont fait de nos aliments. D’autant plus que lorsqu’on mange par habitude, on mange également en l’absence de faim réelle ni d’envie spécifique pour un aliment.
- Le manque de sommeil : La fatigue peut perturber nos hormones de la faim et de la satiété. On a parfois l’impression d’avoir faim alors que notre corps cherche à pallier à un manque d’énergie. Identifier le manque de sommeil comme déclencheur de nos envies de manger peut nous permettre d’agir à la source du problème et réduire le besoin de manger en l’absence d’un besoin physique ou psychologique.
- Une alimentation déséquilibrée dans la journée : Ne pas manger suffisamment pendant la journée peut entraîner des épisodes suralimentation le soir. Pourquoi? La faim ne recommence pas à zéro à chaque repas et si nos apports énergétiques sont insuffisants dans le début de la journée, il est possible que même après un souper satisfaisant, la faim se fasse sentir plus rapidement en soirée, comme si le corps était continuellement en mode rattrapage.
L’approche de l’alimentation intuitive de même que l’alimentation en pleine conscience nous encouragent à être à l’écoute de ces signaux et à y répondre de manière bienveillante et adaptée.
Quoi manger le soir quand on a faim ?
Si vous ressentez la faim le soir, il est important d’y répondre. Ignorer ce besoin physiologique peut mener à de la surconsommation alimentaire par après ou nuire à votre sommeil, par exemple. Bien qu’il n’y ait pas de collations idéales à privilégier en soirée, il peut être bénéfique de limiter les aliments lourds riches en gras ou en protéines. Ils nécessiteront un temps de digestion plus long et pourraient vous occasionner des inconforts au moment de vous coucher comme des reflux. Je partage quelques exemple dans mon article sur les collations. De mon côté, j’opte le plus souvent pour un bol de céréales, mais ça, c’est moi! Essayez différentes combinaisons d’aliments qui vous procureront à la fois une sensation de rassasiement et de satisfaction afin de mieux connaitre les choix qui fonctionnent pour vous.
Manger en l’absence de faim : faut-il culpabiliser ?
Il arrive que nous mangions le soir sans ressentir une réelle faim physique. Est-ce grave ? Pas nécessairement. La culpabilité autour de l’alimentation peut être plus dommageable que l’acte de manger même. Dans ma pratique, j’observe souvent une grande culpabilité en lien avec le comportement de manger le soir. Cela conduit souvent à des pensées automatiques négatives comme « j’ai déjà tout gâché ma journée, aussi bien continuer et demain, je ferai plus attention » et « Je manque tellement de volonté » ce qui contribue à une augmentation de l’effort de contrôle et donc perpétue les pertes de contrôle.
L’approche de l’alimentation en pleine conscience nous invite à explorer nos comportements alimentaires avec curiosité plutôt qu’avec jugement. Si vous vous surprenez à manger en l’absence de faim en soirée, posez-vous ces questions :
- Quel besoin est-ce que je cherche à combler?
- De quelles manière pourrais-je combler ce besoin? Et oui, manger peut faire partie des stratégies envisagées.
Si vous choisissez de manger :
- De quoi ai-je envie de manger? Cette envie est-elle précise?
- Est-ce le bon moment? Est-ce que le contexte me permettra d’en profiter?
Ces questions peuvent nous aider à mieux comprendre nos besoins et nous permettre d’y répondre de façon plus juste. Parfois, améliorer notre routine de sommeil, diversifier les moyens à notre disposition pour gérer son stress et ses émotions peuvent réduire les envies de manger en soirée sans qu’on chercher directement à éviter ce comportement.
Ensuite, une envie de manger en l’absence de faim nous permet plus souvent à combler un besoin psychologique relié à notre alimentation. C’est un besoin tout aussi important que la faim qui se mesure en termes de satisfaction. Mangez ce qui correspond à notre envie, en étant pleinement présent à ce qu’on mange, en savourant chaque bouchée, nous permettra certainement d’aller chercher du réconfort plus efficacement qu’en mangeant rapidement, en cachette et avec culpabilité.
En l’absence d’envie spécifique pour un aliment, il est parfois aidant d’attendre que l’envie viennent à nous plutôt que de chercher quoi manger. Parfois, l’envie passe, parfois, elle revient de manière plus précise nous permettant d’aller chercher une satisfaction encore plus grande. J’ajoute qu’en l’absence de faim, faire des choix alimentaires plus santé n’est pas nécessairement un meilleur choix, souvent, l’envie de manger l’aliment « moins bon » revient de plus belle comme je l’illustre sur cette image.
Alors permettez vous de répondre à un besoin de manger qu’il soit physique (faim) ou psychologique (envie) ou même social, mais en portant attention à faire des choix alimentaires qui vous permettront de combler ledit besoin. Choisissez de manger consciemment, en appréciant vos aliments pleinement.
En conclusion, on ne devrait pas nécessairement éviter de manger le soir pour perdre du poids. Ce qui compte, c’est d’être à l’écoute de son corps, de comprendre ses besoins réels et d’y répondre de manière attentive. Les approches anti régimes comme l’alimentation intuitive et en pleine conscience nous invitent à sortir des règles rigides et des interdits pour développer une relation plus sereine avec la nourriture. L’important est de trouver votre propre équilibre, sans jugement et avec bienveillance envers vous-même.
Références
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